Il y aura quelque chose à manger

Photo : Ronan Mancec
Photo : Ronan Mancec

« Le mari d’Aline va ouvrir une bouteille de vin jaune
Un petit vin du Jura
Ce sera la seule bouteille de l’après-midi
Ce sera café et eau plate
Bien après le vin jaune il y aura un digestif
Très tard quand les parents seront montés dans une chambre
Tombant de fatigue
Ils tomberont littéralement de fatigue les bras leur tomberont de fatigue le long du corps
Tout le monde leur dira bonsoir
Il ne restera plus grand monde et nous, nous serons repartis depuis longtemps »

Il y aura quelque chose à manger explore ce qui peut bien se dire lorsque, quittant un enterrement, on se retrouve en voiture, bien obligés de se mettre à parler. Sous des dehors légers, le naturalisme, l’humour, avec le minimum d’action et surtout pas de crise, ce texte parle de la cruauté d’être ensemble, le couple et l’amour, la politesse, les mécanismes de défense. Il parle d’être fidèle à soi-même et de se faire des lâchetés, de comment l’on se remet à rire. La pièce se fait une petite place entre le rire et les larmes, entre la gravité et la légèreté, entre les chips et le cercueil. C’est, du moins, mon ambition.

Ronan MancecCette pièce a fait l’objet d’une commande par la compagnie Réseau Lilas – Cédric Gourmelon. Elle bénéficie du dispositif d’aide au compagnonnage d’auteurs du Ministère de la culture et de la communication (DRAC Bretagne). Création le 19 janvier 2012 à Rennes. Mise en scène Cédric Gourmelon. Avec Guillaume Cantillon, Nathalie Elain, Benjamin Guyot, Antoine Kahan.
Elle a été en partie écrite en résidence à Amathéa (Orcet, Puy-de-Dôme) et le comité de lecture du Panta Théâtre (Caen) l’a sélectionnée en 2013.
Pièce publiée aux éditions Théâtrales.

Jézabel Coguyec, autrice, comédienne et metteuse en scène, évoque la pièce pour Aparté n° 6, Le billet des ami·e·s des éditions Théâtrales (novembre 2019) :

« La vie ne cesse pas d’être drôle quand les gens meurent, pas plus qu’elle ne cesse d’être sérieuse quand les gens rient. » Cette citation de George Bernard Shaw, en préambule de la pièce, constitue le leitmotiv de ce huis clos. Quatre personnages dans une voiture se rendent à un « goûter » après une cérémonie au crématorium, « goûter » auquel aucun des quatre n’a vraiment envie de participer.
Il y aura quelque chose à manger, c’est l’histoire de ce trajet dans lequel le temps des personnages est aussi celui du spectateur ou du lecteur. Nous sommes coincés avec eux dans cette voiture ; seules les pensées intérieures des personnages parviennent à s’échapper. Ce n’est pas tant la voiture d’ailleurs qui enferme les personnages que l’arrivée inéluctable à ce « goûter », et la présence de ce mort en filigrane.
Ce trajet, c’est la cérémonie qui ne veut pas se terminer, et l’impossibilité pour les personnages de faire autrement que continuer à questionner leur rapport au défunt, mais surtout leur rapport à leur propre mort.
À aucun moment pourtant ce texte n’est une réflexion sur la mort. Il parle du couple, de la fratrie, des amis d’enfance, de ce que signifie être « d’ici ». Il parle de tout ça mais ne cherche à parler de rien, car ce sont les corps en présence qui s’expriment, qui expriment leur besoin de manger, fumer, rire, chanter.
L’auteur réussit parfaitement à retranscrire à quel point la mort nous impose une autre temporalité quand elle fait irruption dans notre quotidien. Nadia, Paul, Cyril et Clément en font l’expérience le temps de ce trajet. Et nous avec eux.